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Le clito
sexuel
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Même dans la pratique, le clitoris est souvent relégué au second plan. Acteur majeur de l’orgasme féminin, il est pourtant oublié, caché derrière l’importance accordée au vagin.
L’orgasme vaginal imposé par Freud est la première d’une des nombreuses normes qui vont tomber sur la sexualité féminine. Mais existe-t-il seulement ? « Moi je fais partie des sexologues, et on est minoritaires, qui pensent que non », commence Jean-Claude Piquard. Intrigué, ce sexologue a mené l’enquête. Il fournit à des couples des ceintures qui mesurent leur fréquence cardiaque pendant le coït, et observe que chez la femme, lors de la pénétration, la fréquence cardiaque baisse. Or, « Masters et Johnson avaient démontré qu’au moment de l’orgasme, il y a doublement du rythme cardiaque ». Cette marque de l’orgasme, on la trouve chez l’homme au moment de l’éjaculation et chez la femme au moment de l’orgasme clitoridien. Mais jamais, en tout cas dans le cadre restreint de l’étude menée par le sexologue, lors de la pénétration. Jean-Claude Piquard classifie donc deux processus différents : « l’orgasme clitoridien avec doublement du rythme cardiaque et le long plaisir vaginal qu’on préfère appeler jouissance ».
Clitoridienne ou vaginale ?
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Freud a inventé de toutes pièces le terme d'orgasme vaginal »
Freud a inventé de toutes pièces le terme d'orgasme vaginal »
Jean-Claude Piquard
Cependant, il n’en reste pas moins qu’environ 20 % des femmes déclarent parvenir à l’orgasme par la pénétration vaginale seule, selon l’étude de Debby Herbrenick. « Il y a des femmes qui n’arrivent à avoir un orgasme que par stimulation vaginale », rappelle le sexologue Damien Mascret. « C’est une évidence et les témoignages l’attestent ». Alors, clitoridienne ou vaginale ? Cette distinction tout droit sortie d’un mauvais magazine féminin semble bien dépassée. « Freud a inventé de toutes pièces le terme d'orgasme vaginal. Ces deux mots n’avaient jamais été mis ensemble par aucun médecin », explique Jean-Claude Piquard.
Malgré la persévérance de l’idée freudienne, le clitoris est aujourd’hui rétabli comme source primaire de plaisir, devant le vagin. Déjà en 1953, Alfred Kinsey montre que 45 % des femmes parviennent à l’orgasme en se masturbant en 3 minutes ou moins. En 1976, Shere Hite trouve elle que « 95 % des femmes atteignent toujours l’orgasme par masturbation » - cette masturbation étant à 98% clitoridienne et 2% vaginale. Une vraie machine à orgasme, le clitoris ! Cependant, l’idée que l’orgasme vaginal serait « supérieur » à l’orgasme clitoridien semble encore persister.
Shere Hite va même plus loin : « La majorité des femmes n’ont pas régulièrement d’orgasme en faisant l’amour ». Pour la plupart, jouir par le seul fait du coït est même « une expérience exceptionnelle », déclare la sexologue. Mais alors... si le clitoris détrône le vagin comme centre de la jouissance féminine, cela ne veut-il pas dire que « les hommes peuvent craindre de cesser d’être sexuellement indispensables », comme l’analyse Anne Koedt, féministe américaine ? En effet, l’homme est facultatif dans l’accomplissement de l’orgasme clitoridien, comme le prouvent ces chiffres écrasants sur la masturbation féminine. Le clitoris est « une clé de l’émancipation et de l’autonomie » selon Julie Muret, « car il y a toujours le spectre que les femmes puissent avoir une sexualité en toute autonomie et se passer des hommes ». Pourtant, la télé, la littérature, les magazines féminins, le cinéma… Tous répandent l’idée que l’homme pénètre la femme et les deux jouissent simultanément au bout de quelques minutes. « Ce qui est frappant dans le cinéma c’est que les femmes jouissent parce que les hommes les pénètrent », s’étonne Sylvie Chaperon. Comme « un petit miracle » rit-elle, quand on connaît le mauvais score de la pénétration.
« Quoi, tu n’arrives pas à avoir un orgasme quand je te pénètre ? »
Le règne de la pénétration
Pour beaucoup, la pénétration reste le moment où le rapport sexuel s’est vraiment produit. « Aux États-Unis surtout, on pense que la fellation n’est pas un rapport sexuel », note Damien Mascret. En effet, la sexualité a toujours été pensée en terme de reproduction. Et la pénétration est le seul acte qui permette de tomber enceinte. Il suffit de regarder l’étymologie du lexique de la sexualité pour s’en rendre compte : le vagin est un fourreau, destiné à accueillir l’épée. « Même la définition juridique du viol renforce cette conception de la sexualité » argumente Clémentine Autain, femme politique et journaliste : « le viol est défini par la pénétration, tout le reste étant considéré comme “agression sexuelle” ».
«
Vagin : du latin vagina (« gaine, fourreau, étui, enveloppe »)
Vagin : du latin vagina (« gaine, fourreau, étui, enveloppe »)
Les Françaises, cancres du sexe
La grande différence aujourd’hui, c’est que la sexualité est passée de reproductive à jouissive. On recherche avant tout le plaisir, et non plus la reproduction. Ainsi, de nos jours, « on sait que la pénétration est facultative », selon Damien Mascret. Vraiment ? Dans les faits, pas si sûr… Selon l’enquête internationale de l’Ifop, les Françaises y sont particulièrement attachées. En effet, c'est dans notre pays que la pénétration vaginale est la plus fréquente : 82% des Françaises la pratiquent « souvent », soit une proportion beaucoup plus forte que dans les pays anglo-saxons (60% au Royaume-Uni, 64% au Canada, 70% aux États-Unis).
Qui pratique le plus la pénétration vaginale ?
82 %
FRANCE
74 %
ALLEMAGNE
72 %
ITALIE
70 %
ETATS-UNIS
64 %
CANADA
60 %
ROYAUME-UNI
Pourtant, à l’exception des Allemandes, ce sont les Françaises qui jouissent le moins facilement de la sorte ! Seules 26% d’entre elles déclarent avoir un orgasme « très facilement » grâce à une pénétration vaginale au sens strict, soit nettement moins que les Italiennes (33%) ou les Américaines (34%). Facteur aggravant, c’est aussi en France que la pénétration vaginale accompagnée d’une stimulation clitoridienne est pratiquée le moins fréquemment – alors qu’il s’agit pour 77 % d’entre elles de la pratique leur permettant d’atteindre le plus facilement l’orgasme. Attention, les Françaises ne sont pas dernières partout : elles décrochent la palme d’or en… simulation.
Quelles sont les femmes qui ont le plus de mal à atteindre l'orgasme ?
Alors pourquoi les Françaises se compliquent-elles ainsi la vie ? « En France plus qu’ailleurs, l’accès des femmes à l’orgasme semble freiné par une sexualité de couple encore trop “phallocentrée” », conclut François Kraus, directeur d’étude à l’Ifop, dans l’enquête sur Les Françaises et l’orgasme. Le poids des normes est un lourd prix à payer pour nos concitoyennes, qui sont celles qui ont le plus de mal à atteindre l’orgasme. Ce sont des « normes internalisées », explique Damien Mascret : « On n’en a pas conscience. On peut penser, décider, sans se rendre compte qu’on s’est en fait laissé imposer des normes ». La sexualité n’échappe pas à la pression de normalité, bien au contraire. « Un des gros enjeux de la sexualité, et souvent une question posée en sexologie est : est-ce que je suis normal ? On se retrouve à être beaucoup moins libre qu’on ne devrait l’être. On se retrouve au lit avec ce que pense papa, maman, la société, et ce que pense mon partenaire de moi ».
Les femmes excisées ressentent elles aussi cette pression de normalité. En France, elles sont environ 53 000 femmes adultes excisées, compte l’Institut National d'Études Démographiques (Ined). En fait partie Wandja, 32 ans, née au Mali. Armelle Andro, chercheuse à l’Ined et Michela Villani, docteure en sociologie, ont rencontré la jeune femme dans le cadre de leur enquête sur la place du plaisir chez les femmes excisées. Wandja se sent obligée « de sortir avec des Africains parce qu'ils ont conscience de l'excision alors que les Blancs, non. J’ai peur de me retrouver dans une situation gênante où il me poserait des questions sur mon sexe » confie-t-elle aux chercheuses.
En France, où elle est peu commune, l’excision apparaît bizarre, voire même comme un signe d’infirmité. Ainsi, le recours à la réparation chirurgicale du clitoris est vue pour beaucoup comme un moyen d’être normale, d’être une « vraie » femme. « II s'agit à la fois pour elles de retrouver un corps intègre c'est-à-dire un appareil génital entier et donc semblable à celui des femmes qui n'ont pas subi l'excision. Mais c'est aussi la réappropriation d'un corps “capable” qu'elles aspirent, c’est-à-dire d'un corps apte au plaisir », analysent Andro et Villani.
La princesse, la pute et la matrone
La féminité se retrouve divisée en 3 grands stéréotypes, comme le pointent Damien Mascret et Maïa Mazaurette : la princesse vierge, la pute ou la maman. Si elle veut éviter de se retrouver catégorisée comme « pute », une femme se voit obligée d’endosser le rôle de la princesse vierge – car la mère n’a pas (plus) de relation sexuelle, maintenant qu’elle a rempli son rôle de reproduction. La princesse, timide et passive, n’oserait au grand jamais avoir recours à la stimulation clitoridienne, qui pourtant favoriserait son orgasme. La peur de transgresser, ou tout simplement celle de vexer son partenaire : bien des raisons font que les femmes n’osent pas forcément prendre en main leur clitoris.
A quelle fréquence les femmes ont-elles un orgasme par rapport sexuel ?
18,2%
10,5%
13,5%
22,3%
10,3%
9,6%
Jouissons sans entrave !
Alors, « si votre détonateur personnel est, comme pour la grande majorité des femmes, le clitoris, ne comptez pas trop jouir par l’opération du Saint-Esprit
vaginal », préviennent Mascret et Mazaurette. La nature a mal fait les choses en éloignant le clitoris du vagin et le modèle dominant de la pénétration penche clairement en faveur du plaisir masculin. Au match des orgasmes, les femmes sont perdantes. « Hommes et femmes nous avons deux sexualités très différentes qui n’ont pas été faites pour vivre ensemble », déclare Philippe Brenot, anthropologue et sexologue. La seule solution, c’est que chacun comprenne comment fonctionne l’autre. Mais « même avec la meilleure volonté du monde, même s’il est soucieux du plaisir de sa partenaire », un homme hérite de siècles de clichés dont il est difficile de se débarrasser, explique Sylvie Chaperon. Malheureusement, les femmes elles-mêmes partagent très souvent cette idée que c’est aux hommes de leur donner du plaisir, « et ça c’est une idée qu’il faut combattre », continue l’historienne. « Il faut que les femmes sachent se donner du plaisir elles-mêmes avec ou sans hommes, en se masturbant mais aussi en se caressant pendant l’acte sexuel et ce n’est que parce qu’elles parviennent à le faire qu’elles apprendront à l’homme à le faire », conclut-t-elle.
Comment les femmes préfèrent-elles qu'on leur touche le clitoris ?
63,7%
51,6%
30,6%
21,2%
18,6%
DE HAUT EN BAS
MOUVEMENT CIRCULAIRE
D'UN CÔTE A L'AUTRE
PULSATION RAPIDE
PRESSION
49 %
46 %
46 %
44 %
42 %
28 %
FRANCE
CANADA
ITALIE
ETATS-UNIS
ALLEMAGNE
PAYS-BAS
Excitation
Le cycle sexuel selon Masters et Johnson
Plateau
Orgasme
Résolution
Temps
Plaisir
Debby Herbenick et all, Women's Experiences With Genital Touching, Sexual Pleasure, and Orgasm, 2017.
Shere Hite est une sexologue américaine. A cause de son travail, elle a reçu de nombreuses menaces et a du quitter les Etats-Unis.
Anne Koedt, Le mythe de l'orgasme vaginal, 1968. Le texte est devenu un classique de la littérature féministe.
Clémentine Autain, Féminismes et sexualité : « jouissons sans entraves » !, 2002.
Ifop, Les Françaises et l'orgasme, 2015.
Source : Enquête Ifop, Les Françaises et l'orgasme, 2015.
Source : Enquête Ifop, Les Françaises et l'orgasme, 2015.
Michela Villani et Armelle Andro, Réparation du clitoris et reconstruction de la sexualité chez les femmes excisées : la place du plaisir, 2010.
Source : Debby Herbenick et all, Women's Experiences With Genital Touching, Sexual Pleasure, and Orgasm, 2017.
Source : Debby Herbenick et all, Women's Experiences With Genital Touching, Sexual Pleasure, and Orgasm, 2017.
© SOPHIA WALLACE
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