L'éducation clitoridienne
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L'éducation clitoridienne
L'éducation
clitoridienne
© SOPHIA WALLACE
A qui revient la tâche d’éduquer au clitoris ? Embarrassés, les médecins, l’Education Nationale et le cadre familial se renvoient la patate chaude. Les médias et le porno sont moins frileux, mais ne fournissent pas toujours de bonnes informations.
Mais alors, « comment s’approprier son corps et construire sa sexualité sans image, sans mot pour se représenter son sexe complet ? », se demande Julie Muret. Réponse : on ne peut pas. « On nous prive, en tant que femme, en tant que petite fille, jeune femme, d’une connaissance de notre corps élémentaire », continue-t-elle. L’organe a un rôle fondamental dans le plaisir et « le fait de ne pas le nommer, de ne pas savoir exactement où il est, de ne pas pouvoir ne serait-ce que se le représenter, c’est une privation de liberté et une domination sur la sexualité féminine ».
L’excision culturelle est toujours présente, et le mot clitoris est loin d’être utilisé au quotidien. « J’ai eu des gens qui sont venus me parler de mon travail, et ils sont tellement effrayés de dire le mot clitoris. Il ne fait pas partie de leur langage. Mais comment peut-on être un adulte qui a des relations sexuelles avec une femme et ne jamais utiliser ce mot ? » s’indigne l’artiste américaine Sophia Wallace, qui milite pour une “cliteracy”, une éducation clitoridienne.
Cliteracy = Clit'alphabêtisation
" C'est bien plus à propos de la production du savoir au sujet
Nous n'avons pas eu accès à de vraies connaissances à propos de nos corps "
du clitoris.
Sophia Wallace
Le schéma du livre de SVT à destination des 4èmes des éditions Magnard
Ovaire
Clitoris
Vulve
Vagin
Utérus
Et oui : l’Éducation Nationale a échoué. C’est, si l’on simplifie, la triste conclusion du
Rapport sur l’éducation à la sexualité, effectué par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Depuis 2001, la loi prévoit trois séances annuelles d’éducation à la sexualité. En 2016, 25 % des écoles primaires n’en ont mises en place aucune.
Ecoles primaires
Aucune action
Collèges
Lycées
25 %
4 %
11,3 %
Pourtant, les pouvoirs publics faisaient preuve d’une certaine volonté sous la présidence de François Hollande. Mais en 2013, l’ABCD de la sexualité, qui visait à déconstruire les stéréotypes de genre dans les écoles maternelles et primaires, déclenche un scandale inédit. La mesure subit les assauts des premières fake news, accusée, entre autre, d’encourager l’homosexualité et de mettre en place des cours pratiques de masturbation. La Manif pour Tous, son principal ennemi, obtiendra gain de cause. Depuis, l’éducation à la sexualité – sans parler de l’éducation à l’égalité – est devenue sensible et fait l’objet d’une certaine frilosité qui se traduit par sa quasi inexistence dans les programmes scolaires.
Aujourd’hui, l’éducation sexuelle en France c’est « une catastrophe » pour Jean-Claude Piquard, qui intervient dans des écoles, et « largement insuffisante », pour Julie Muret. De plus, elle est avant tout axée sur les risques : les IST, les grossesses non désirées, le SIDA, etc. Ce qui est tout à fait légitime, mais « on ne parle que des dangers du sexe », regrette Jean Claude Piquard. Et surtout, on oublie totalement l’aspect du plaisir, et « le fait que c’est un élément important de la vie et d’épanouissement », rappelle Julie Muret. Pourtant, la définition de l’éducation sexuelle donnée par le Haut Conseil à l’égalité est bien plus large qu’une simple éducation à la reproduction et aux risques : elle contient la question du consentement, des inégalités sexistes, de la place du désir et du plaisir, et de la lutte contre l’homophobie.
Mais est-ce réellement le rôle de l’État que de donner une éducation sexuelle ? On pourrait penser que cette activité intime s’apprenne dans les sphères intimes : au sein du cercle familial, notamment. Mais « bien des familles abdiquent complètement leur rôle dans l’éducation sexuelle de leurs enfants » écrivent Mascret et Mazaurette, et sont bien contentes de laisser l’école se charger de ce sujet délicat. En revanche, sans réellement s’en rendre compte, de nombreux parents participent à propager l’omerta dès la plus petite enfance, en réprimant sévèrement la masturbation.
La terreur de la masturbation est plusieurs fois centenaire. Aujourd’hui encore, l’Église catholique met sur le même plan masturbation, prostitution et viol. Mais même dans cette pratique, il existe un double standard : il y a une « tradition de la vantardise autour de la masturbation » dans la culture masculine, constate Sylvie Chaperon. « On trouve naturel qu’ils aient la main sur leur zizi et qu’ils jouent avec », observe-t-elle. Alors que chez les filles, c’est tout l’inverse : serre les jambes, cache ta culotte, mets un soutien-gorge, etc.... Cache ces organes que je ne saurai voir. Parfois, les petits filles « n’ont même pas conscience que les orifices par lequel elles font pipi n’est pas le même que les autres », se révolte Julie Muret.
S’il fallait une seule preuve que la masturbation est un geste naturel, la voici : même le fœtus la pratique. Dans l’utérus, le fœtus masculin a des érections et « dès la vingt-sixième semaine de développement du fœtus, on observe de très fréquents comportements génito-centrés, de la main, du pied ou même de la bouche », écrit Philippe Brenot dans Le Sexe et l’angoisse. Mais la masturbation fœtale ne concerne pas seulement le garçon : elle a aussi été observée - bien qu’une seule fois - chez le fœtus féminin. Lors d’une échographie, deux médecins italiens observent un fœtus qui « touchait sa vulve avec les doigts de la main droite. Les mouvements de caresse étaient centrés principalement sur la région du clitoris », décrivent les chercheurs. Ces touchers étaient suivis de contractions dans tout le corps puis d’une détente, soit un comportement très similaire à l’orgasme.
Echographie d'un foetus dont
le pénis est en érection
Le succès de Gorge Profonde fut tel que Linda Lovelace est propulsée au rang de première réelle star de la pornographie.
Le film raconte l'histoire d'une femme qui se pense frigide. La la source de ses difficultés vient de son clitoris, situé dans sa gorge et non pas dans sa vulve.
Devant une telle défaillance, rien d’étonnant à ce que les adolescents aillent eux-mêmes chercher leurs informations. Ok Google, comment faire pour ne pas avoir l’air ignorant le jour J ? Réponse : la pornographie, qui comble leur besoin d’informations concrètes. Problème : la pornographie banalise tout un tas de clichés et de pratiques sexuelles exotiques.
58 % des garçons et 45 % des filles ont vu leurs premières images pornographiques entre 8 et 13 ans, selon une enquête de 2005. Aujourd’hui, deux clics suffisent pour accéder au X. Certes, le porno, comme les jeux vidéos, n’est pas seul responsable de tous les maux. Mais il n’empêche que « « la culture porno » est présente de manière diffuse dans la société », rappelle le Haut Conseil à l’égalité. Des pratiques comme la sodomie ou la double pénétration sont monnaie courante dans le porno, sans oublier des comportements violents et dégradants envers les femmes.
Il ne faut pas oublier que la pornographie, « c’est du cinéma », rappelle Damien Mascret. Qui dit cinéma, dit fiction. On favorise les positions spectaculaires, et surtout, on cherche avant tout à plaire au public cible : les hommes. Car le porno, c’est une affaire d’hommes. Petit, caché, difficile à filmer et peu spectaculaire, le clitoris n’est pas très photogénique. Mais surtout, « il n’est pas considéré comme stimulant par les principaux consommateurs du X : les hommes », explique Mascret. L’acte sexuel doit donc se « terminer par le plaisir de l’homme ». Alors on filme une pénétration interrompue pour visualiser l’éjaculation : c’est le « money shot ».
Selon l’enquête menée par le CSA en 2004, 54 % des garçons de 14 à 18 ans regardent de la pornographie parce que cela les amuse et les distrait, 34 % parce que cela leur plaît et 16 % parce que cela leur est utile. Une opinion plutôt positive. En revanche, les filles font part à 56 % d’un dégoût, 28 % d’un malaise et 26 % se disent choquées. Parmi ces consommateurs de pornographie, lesquels savent faire la différence entre fiction et réalité ? « Cela peut échapper aux jeunes spectateurs », admet Damien Mascret.
Bien sûr, ce n’est pas parce qu’on regarde un porno à l’adolescence que l’on va reproduire ce qu’on a vu à l’identique. « Dès les premières expériences, on corrige toute cette sexualité basée sur le cinéma porno pour arriver à une sexualité épanouie », nuance le sexologue. Mais il reste important que les jeunes fassent preuve de recul devant le X, et la meilleure solution passerait par une éducation sexuelle efficace… si elle existait. Ainsi, « par pruderie, l’État et les parents ont abdiqué leur rôle en matière d’enseignement de la sexualité », concluent Mascret et Mazaurette, « il est un peu facile de critiquer le porno sous prétexte qu’il remplit un vide qu’ils ont eux-mêmes creusé ».
«
La pornographie, c'est du cinéma »
La pornographie, c'est du cinéma »
Jean-Claude Piquard
Devant ce désarroi, des initiatives naissent. Les artistes se saisissent du sujet, et font tout pour remettre le clitoris sur le devant de la scène. « Je veux vraiment que mon travail soit dans la sphère publique. Je veux qu’il soit le monument d’un clitoris anatomique, qui existe depuis 5000 ans », déclare Sophia Wallace. « Je veux que ça ne soit pas un choc d’en connaître la forme. Pas une gêne ».
Le clitoris « n’est pas honteux », rappelle Damien Mascret, « il ne doit pas être caché ou considéré comme illégitime ». A l'heure de #metoo et #balancetonporc, l'omerta autour du harcèlement sexuel se brise. De la même façon, le clitoris s'impose comme le symbole de la sexualité féminine et des oppressions qu'elle a traversé. Etendard des revendications à l'égalité sexuelle, il ré-investit petit à petit la scène publique, en même temps que la parole des femmes se libère. La sexualité féminine existe, et elle est présente sans forcément être provocante. Mettre le clitoris sur la place publique, « c''est une façon de dire qu'elle mérite de l'attention en privé comme en public. Il n'y a pas de raison de la cacher », conclut le sexologue.
Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, Rapport relatif à l'éducation à la sexualité, 2016.
Philippe Brenot, Le Sexe et l'angoisse, 2008.
Conseil Supérieur de l'Audiovisuel, Les effets de la pornographie chez les adolescents, 2004.
C
Ce qui n’a pas de nom n’existe pas. Comment, si une chose n’est pas nommée, connue, représentée, pourrait-elle exister ? Si l’on ouvre les pages d’un manuel de SVT, c’est très clair : le clitoris n’existe pas, ou à peine. Sur les 8 éditions disponibles sur le marché, une seule, celle des éditions Magnard, propose un schéma correct du clitoris, incluant son anatomie profonde. Et ce, seulement depuis la rentrée 2017. Le reste se contente d’en montrer le gland, ou tout simplement de ne pas mentionner le clitoris du tout.
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L'éducation clitoridienne
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Michela Marzano et Claude Rozier, Alice au pays du porno, 2005.